mercoledì 13 agosto 2008

« Sexe » et « race » dans les féminismes italiens. Jalons d’une généalogie


Vincenza Perilli, « Sexe » et « race » dans les féminismes italiens. Jalons d’une généalogie, in J. Falquet (dir.) (Ré)articulation des rapports sociaux de sexe, classe et "race". Repères historiques et contemporains, Mémoires du séminarie du Cedref 2005-2006, Cahiers du Cedref 2006, pp. 105-143


Introduction

La réflexion proposée dans cet article a pour toile de fond la difficulté générale d’engager, en Italie, une réflexion sur l’histoire du racisme italien ou, plus précisément, sur le refoulement de cette histoire tout entier résumé par le mythe du bravo italiano [1] (Bidussa, 1994), c'est-à-dire le lieu commun selon lequel, les italiens seraient essentiellement non-racistes, malgré les lois raciales de 1938 et les entreprises coloniales. C’est au regard de cette réalité que je voudrais tenter de comprendre les raisons du retard et des limites actuelles de la réflexion féministe italienne sur les deux systèmes spécifiques de domination que sont le sexisme et le racisme et ce faisant, sur les difficultés rencontrées dans la construction d’outils efficaces pour les combattre. Pour ce faire, je partirai des premières occurrences des féministes italiennes des années 70 sur la comparaison entre les catégories de « sexe » et de « race » et les deux systèmes de domination qui leur correspondent. Plus précisément, je voudrais analyser le rôle joué par le concept de « différence » (qui semble, par rapport aux féminismes des autres pays occidentaux, l’une des caractéristiques majeures du féminisme italien des années 1960-1970 (Rossi-Doria, 2005 : 5) ainsi qu’à l’hégémonie du concept de « différence sexuelle » qui lui a succédé dans le débat théorique et politique féministe italien à partir des années 1980. Sur ce dernier point, je m’intéressai plus particulièrement à l’acception proposée par le pensiero della differenza sessuale [2], notamment élaborée par la Libreria delle Donne [3] de Milan et la Comunità Filosofica Diotima [4] de Vérone. Mais d’abord, quelques précisons méthodologiques sont nécessaires. Ma recherche n’ayant aucune prétention d’exhaustivité, je ne ferai pas une histoire complète du féminisme italien des années 70 ni des recherches et des expériences qui, dès les années 1980, ont travaillé le nœud crucial « sexe » et « race ». Je ne ferai pas non plus une critique générale – ni strictement philosophique – du féminisme dit de la différence, ni de sa seule version italienne, pas plus que je n’expliciterai toutes les conséquences théoriques et politiques dérivant de cette pensée [5]. Si le fait que le féminisme des années 70 soit, en Italie, encore «un thème marginal dans la recherche historiographique, le lieu d’un vide historiographique » (Bertilotti et Scattigno, 2005 : 7) et si la complexité et l’hétérogénéité des mouvances qui font référence à la « différence » n’ont pas facilité ma tâche, ma posture est en premier lieu due au travail de mise en perspective que j’ai voulu faire : en voulant faire l’histoire d’un « problème » (i.e les difficultés d’articuler les catégories de « sexe » et de « race »), je n’ai pas emprunté un parcours linéaire. J’ai plutôt cherché à saisir certains points cruciaux de la généalogie de ce problème. Mon choix de concentrer, par exemple, la recherche des premières occurrences du binôme « sexe »-« race » sur un nombre relativement limité de groupes ne tient pas exclusivement à la difficulté objective de repérer des sources alternatives d’un mouvement très vaste qui, dans la plupart des cas, a eu un caractère informel, s’exprimant souvent par des tracts et des brochures dispersés ou non consultables [6]. Je me suis plutôt centrée sur les groupes qui ont eu un rôle important dans la diffusion, dans le mouvement féministe italien, de la comparaison des catégories de « sexe » et de « race »– typique du mouvement féministe nord américain –, grâce à des publications qui ont eu une certaine visibilité dans le mouvement, par exemple Donne è bello [7] du groupe Anabasi [8] de Milan. En même temps, j’ai privilégié les groupes qui permettent de saisir des liens avec les mouvances de la pensée de la différence sexuelle. Il s’agit de liens multiples, tissés par exemple parce que plusieurs femmes actuellement engagées dans la pensée de la différence sont d’anciennes militantes de groupes des années 70, comme le Demau [9], actif à Milan à partir 1966, ou Il cerchio spezzato [10] né à Trente au début des années 70. Il s’agit aussi de liens à proprement parler plus historiques construits soit en « positif » soit « en négatif ». Les premiers relèvent de la reconstruction a posteriori de leur histoire par les mouvances différentialistes italiennes, par exemple la référence courante à Rivolta femminile et notamment à la figure majeure de Carla Lonzi [11]. Les seconds ont été quant à eux établis par opposition, la réduction du rôle joué par Lotta femminista étant en ce sens emblématique [12]. De la même manière, si je privilégie ici les deux premières des trois catégories de « sexe », « race » et classe, cela ne tient pas au fait que je sous-estime l’importance de leur articulation (et réarticulation actuelle) mais aux limites du champ de ma recherche. Dans le cas italien, la triade race, gender and class n’a pas joué un rôle majeur comme dans d’autres contextes nationaux (Sarti, 2003 : 122) et le mouvement féministe des années 70 ne l’a pas thématisée, sauf à quelques rares exceptions [13 ] qui, cependant, n’ont pas eu de conséquence importantes dans le mouvement féministe italien de la période. De même, la catégorie de classe, même au sens spécifique de différence de classe entre femmes, a rarement ou faiblement fait l’objet de recherches, probablement parce qu’en Italie la tradition marxiste – d’où provenaient de nombreuses féministes et avec laquelle on voulait rompre en manière radicale – avait été très forte (Rossi-Doria, 2005 : 13). C’est en ce sens qu’a été avancée l’hypothèse que « les femmes et les Noirs étaient significativement, posés en parallèle, plutôt que les femmes et les prolétaires » (Ribero, 1999 : 136) afin de souligner et de contester la marginalité des thèmes concernant les femmes par rapport à ceux concernant la classe ouvrière, cette marginalité étant ramenée à une discrimination sexiste par les documents féministes de l’époque comme Le donne e i neri. Il sesso e il colore. En relisant ces documents, j’ai souvent eu l’impression que la « race » y avait remplacé la « classe » : la femme n’est plus « le prolétaire » de l’homme, mais plutôt son « Noir ». Mais je voudrais avancer ici l’hypothèse que la faible importance de la catégorie de classe dans le débat féministe italien est aussi due au fait que les rares textes qui ont analysé la catégorie de classe comme une des « différences » décisives entre les femmes [14] ont été fortement marginalisés et n’ont pas eu d’écho chez les mouvances différentialistes des années 1980-1990. Comme nous le verrons, si les limites d’un certain type de discours sur « la différence/ les différences » développé par les féminismes italiens des années 70 résident dans l’accent mis sur les « différences entre femmes » comme différences subjectives, au détriment des conditions objectives, matérielles, dans lesquelles les femmes sont placées – et c’est là, à mon avis, que se situe une des conditions de possibilité des transformation postérieures –, le Pensiero della differenza sessuale transformera les « différences entre femmes » en inégalités « précieuses ». Dans la première partie de cette contribution, je présenterai une généalogie de la pensée de la différence dans les féminismes italiens des années 70, en mettant en lumière la distance considérable entre le concept actuellement répandu de « différence sexuelle » et les significations multiples et instables recouvertes par le terme de « différence » tout au long des années 1970. On verra alors que la revendication d’altérité qui a caractérisé l’émergence du mouvement féministe tirait son sens des exigences stratégiques de rupture propres à la constitution d’un sujet de lutte ; et que c’est seulement par un ensemble de transformations postérieures qu’elle s’est cristallisée en une conception « rigide » de la « différence sexuelle ». En même temps, je cherche à montrer que cette conception rend problématique la prise en compte de l’importance des autres systèmes de différentiations, notamment de « race ». Dans la deuxième partie, je proposerai une grille de lecture des diverses formes prises par la comparaison (et parfois l’opposition) des catégories de « sexe » et de « race » dans les féminismes des années 70. Cette lecture, qui adopte une perspective internationale, soulignera les limites et les impasses de la réflexion féministe italienne quant à l’articulation entre le sexisme et le racisme, qui, à partir des « années mouvement » (Picq, 1993) se prolongent jusqu’à nos jours. Dans la troisième partie, je développerai une analyse critique de ces limites qui sont à la croisée d’une part d’une difficulté propre au féminisme italien, donnant une importance croissante aux différences subjectives entre les femmes au détriment des différences matérielles et d’autre part, d’une difficulté plus générale propre, elle, au contexte italien de se confronter avec sa longue et complexe tradition raciste. Dans la conclusion, je suggère que le « lavoro di cura » (care) est probablement l’un des terrains privilégiés où se donne à voir explicitement les effets des difficultés d’analyser les différenciations et hiérarchisations de « race » telles que nous les aurons étudiées dans le pensiero della differnza sessuale. C’est à partir de ce nœud crucial que le déclin de la longue hégémonie politique et culturelle de cette pensée peut être entrevu comme l’ouverture vers une nouvelle réflexion critique.

Premières partie: Différence, différences, disparités: pour une généalogie du pensiero della differenza essuale
Deuxième partie: "Sexe" et "race" entre réalité et métaphore: la force et la faiblesse de la comparaison
Troisième partie: L'analogie sexe et "race": entre anciennes limites et nouvelles impasses
Bibliographie

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1 Bon italien.
2 Pensée de la différence sexuelle.
3 Librairie des femmes.
4 Communauté philosophique Diotima.
5 Pour une première tentative de critique générale du pensiero della differenza sessuale, voir (Cirillo, 1993).
6 Par exemple, un fond considérable de matériaux des mouvements féministes des années 70, conservé par la Biblioteca italiana delle donne (Bibliothèque italienne des femmes) de Bologne, n’est pas consultable car il n’a pas encore été catalogué.
7 Femmes, c’est beau.
8 Anabase
9 Acronyme de Démystification autoritarisme.
10 Le cercle brisé
11 Carla Lonzi est l’une des figures les plus connues du féminisme italien des années 70. Critique d’art très reconnue, elle abandonne son travail pour se dédier entièrement au féminisme et notamment à Rivolta Femminile (Révolte féminine), le premier groupe séparatiste italien, né en 1970. Rivolta femminile publiait les fameux Libretti verdi (Livrets verts ), recueillant les écrits du groupe parmi lesquels les textes de Lonzi, du très connu Sputiamo su Hegel (1970) (Nous crachons sur Hegel) à Taci, anzi parla. Diario di una femminista (Tas-toi, au contraire parle. Journal d’une féministe), écrit en 1978 quelques années avant sa mort en 1982. La pensée de la différence sexuelle se réfère beaucoup aux textes de Lonzi. A ce titre, je renvoie à Muraro qui a indiqué que le concept de « transcendance féminine » formulé par Lonzi a été la source première de son « idée d’une dimension nécessaire de verticalité » entre femmes (Irigaray, 1990 : 119).
12 Non credere di avere dei diritti réduit l’importance historique et la complexité de l’expérience de Lotta femminista (Lutte féministe, groupe de matrice marxiste, né à Padoue et Ferrara en 1971 avant de s’étendre dans nombre de villes italiennes), par cette définition schématique : « formation politique connue parce qu’elle se battait pour le salaire aux ménagères » (Libreria delle donne di Milano, 1987 : 37).
13 Cf. notamment la préface de Renate Zahar (pp. 7-19) dans Donne bianche e donne nere nell’America dell’uomo bianco (Femmes blanches et femmes noires dans l’Amérique de l’homme blanc). Edité en 1975 par le collectif féministe Basta tacere! (Ca suffit de se taire !), le livre contenait les traductions (respectivement de Manuela Cartosio et Luciana Percovich) de la IIe édition de « Women in American Society. An Historical Contibution » (in Radical America, vol. V, juillet-août 1971, rééditée en brochure en 1972) et de l’essai de Angela Davis, « Reflections on the Black Woman’s Role in the Community of Slaves » (in The Black Scholar, vol. III, n°4, décembre 1971).
14 Notamment Lotta femminista, mais aussi des petits groupes qui n’ont pas laissé de traces écrites, comme par exemple le « Collettivo del martedi » (le Collectif du mardi), actif à Rome au milieu des années 1970,. Ce dernier posait au centre de son analyse la catégorie de classe. Je remercie Maria Grazia Rossilli de ce précieux fragment d’histoire orale. Par ailleurs, le manque d’une forte prise en compte des différences de classe entre femmes est souligné par exemple par Standerini (1977 : 24-26).

Continua ...

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E infine: la bella foto di Vivien Leight e Hattie McDaniel l'ho rubata qui

Su questo numero dei Cahiers du Cedref rinvio a: Mouvement des Indigènes de la République, Portail Genre, e il sito dell'Université Paris Diderot.
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3 commenti:

Alessandro Paesano ha detto...

V., chi sono le due donne nella foto?

Anonimo ha detto...

Sono Vivien Leight e Hattie McDaniel, avevo segnalato in coda all'articolo ;-)

Anonimo ha detto...

Bellissime!!!