domenica 1 luglio 2007

La "différence sexuelle" et les autres


Vincenza Perilli, La "différence sexuelle" et les autres, in Marc Bessin e Elsa Dorlin (a cura di), Féminismes. Théories, mouvements, conflits, in L'Homme et la Société, n. 158, 2005, pp. 145-168*

« Ici, en Italie, en tant que femme noire, j’ai rencontré des gens fantastiques, écrivains, professeurs, tous extrêmement cordiaux… puis j’ai marché dans les rues et j’ai appris ce qu’être Noire en Italie signifie, les personnes te regardent avec mépris, haine, elles tiennent la plupart des femmes noires pour des prostituées et entretiennent tous ces préjugés sur la race et les attitudes sexistes qui sont liés au fait d’être Noir.[1]


Le concept de « différence sexuelle » constitue, d’après la plupart des interprétations, l’un des traits majeurs du féminisme italien par rapport aux féminismes des autres pays occidentaux. Même sans partager l’opinion qui voit dans la « différence sexuelle » le thème central ou unique du féminisme italien [2], il faut constater l’importance des notions de « différence » et/ou « différences », immédiatement antérieures, dès les années 1960-1970. En France, « si l’idée d’une différence irréductible entre hommes et femmes est présente dès ses débuts dans certains groupes du “ MLF ”, il est surprenant de constater que le terme lui-même […] est d’apparition finalement tardive, et durant tout un temps, extrêmement rare [3] », remarque Liliane Kandel. La « différence » était bien sûr « dans l’air du temps » — notamment dans les groupes anti-racistes —, mais dans le contexte du féminisme français, elle se manifestait « sous d’autres formes, indirectes, non théorisées, et le plus souvent non explicitées [4] ». Ce n’est que plus tard que le thème de la « différence sexuelle » acquiert une certaine visibilité et se décline sous de multiples formes : de la « féminitude » jusqu’à la notion de « diffé-rence des sexes [5] » comme « nouveau philosophème [6] ».

En Italie, en revanche, le terme de « différence » fait son apparition dès 1970, dans Sputiamo su Hegel (Nous crachons sur Hegel), un des textes les plus célèbres et célébrés du groupe Rivolta femminile, un des premiers groupes féministes italiens. Dans le cadre d’une critique radicale du concept d’égalité Carla Lonzi écrivait :


« L’égalité proposée aujourd’hui n’est pas philosophique mais politique : voulons-nous, après des millénaires, nous insérer à ce titre dans un monde projeté par l’autre ? Trouvons-nous gratifiant de participer à la grande défaite de l’homme ? Par l’égalité de la femme, on entend son droit de participer à la gestion du pouvoir dans la société en vertu de capacités reconnues égales à celles de l’homme. Nous nous sommes aperçu que […] l’affirmation de la femme n’implique pas la participation au pouvoir masculin mais une remise en question du concept de pouvoir. […] La différence est un principe existentiel qui concerne les façons d’être de l’individu, la particularité de ses expériences, de ses finalités, de ses ouvertures, de son sens de l’existence dans une situation donnée […]. Entre la femme et l’homme réside la différence de base de l’humanité. L’homme noir est égal à l’homme blanc, la femme noire est égale à la femme blanche […]. Le monde de l’égalité est le monde de la domination légalisée, de l’unidimensionnel ; le monde de la différence est le monde où le terrorisme jette les armes et où la domination cède face à la variété et la multiplicité de la vie.[7] »


L’originalité de cette première occurrence italienne du terme (entendu au sens spécifique de « différence entre les hommes et les femmes ») réside dans ce que, malgré la rupture induite par les écrits de Lonzi, le concept de différence (au contraire de ce qui s’est passé en France [8]) ne fait pas l’objet de critiques ou de problématisations significatives. Ce qui est frappant si l’on songe que Lonzi elle-même, dans la préface du recueil de ses écrits, se montre parfaitement consciente de la coupure introduite par ses thèses dans le contexte du féminisme italien :




«J’ai écrit Sputiamo su Hegel parce que j’étais très troublée en constatant que la quasi-totalité des féministes italiennes, prêtait plus de crédit à la lutte des classes qu’à leur propre oppression.[9] »


Au cours des années 1970, le terme de « différence » paraît très souvent au pluriel, comme en témoigne le nom d’une des revues de la période, Differenze : différences « entre homme et femme / entre femme et femme / entre classe et classe / entre féminisme du XIXe siècle et fémi-nisme d’aujourd’hui / entre émancipation et féminisme / entre numéro et numéro de cette publication [10] ». On s’attache également à la « différence des pratiques » des groupes féministes pour éviter de figer « la réalité dynamique du mouvement » [11]. Aussi, même si la position de la « féminitude » « avait eu une importante fonction de rupture » pour nous affirmer « comme sujet politique » [12], il semble nécessaire


« […] d’évoluer dans une direction qui nous permette de reconnaître nos différences, sans nier plus longtemps l’agressivité qui existe entre nous au nom d’une solidarité générique […] Cette capacité critique […] nous permettait aussi d’analyser avec une plus grande lucidité le rôle tenu par la femme dans l’Histoire, reconnaissant que nous n’en avons pas été que partiellement écartées et que nous n’en sortions pas totalement “ innocentes ”. [13] »


Il faut noter le caractère novateur et même précurseur de certains de ces thèmes, qui seront décisifs dans les années suivantes pour le fémi-nisme italien ; notamment la critique du concept de sororité (Womanhood is Sisterhood, Toutes les femmes sont sœurs) ou d’une conception simplificatrice de la “ femme opprimée ” qui, indépendamment de son importance stratégique dans la phase de constitution d’un sujet de lutte, pouvait faire obstacle à l’émergence de la différence entre femmes. Cette émergence aurait (du moins en puissance) pu permettre la prise en compte des autres « différences » (classe, orientation sexuelle, âge, « race », etc.).

Une certaine rhétorique différentialiste a beaucoup insisté, dans les dernières années, sur le respect des « différences », soulevant la question, en apparence simple, « est-ce que les pensées de la différence sexuelle ont permis une plus grande acuité envers les autres différences ? [14] ». Dans cet article, je me propose de montrer comment l’immense importance accordée par le féminisme italien au thème de la/les « différence(s) » et de la « différence sexuelle», lui a, d’un côté, permis d’être plus sensible à certaines différences entre les femmes elles-mêmes, mais, de l’autre, a concouru à occulter les autres « différences », et notamment la différence de « race ».

Comment est-on parvenu à une telle situation, malgré des idées aussi prometteuses ? Pour tenter d’y répondre, il faut d’abord éclaircir ce que l’on entend par « différence sexuelle » dans le contexte italien actuel, où cette notion est « omniprésente » [15].


De la notion de « différence » à la disparità . Une étrange trajectoire ?


Aujourd’hui, le féminisme italien est marqué par


« […] l’hégémonie de l’idée de différence, au nom de laquelle l’idée d’égalité est souvent condamnée comme un piège pour les femmes, et la polarisation entre deux positions : les théories de la différence sexuelle, qui risquent d’analyser une entité pure, une sorte d’idée désincarnée qui marche par le monde […] et les politiques des pari opportunità qui risquent de se borner à placer les femmes dans un monde toujours marqué par leur exclusion et de négliger le terrain fondamental de la construction du sujet.[16] »


Cette hégémonie s’est notamment affirmée grâce à la réécriture de certains concepts-clés du féminisme des années 1970. En ce sens, le concept de « différence sexuelle » ne peut pas être scindé du complexe théorique appelé pensiero della differenza sessuale (pensée de la différence sexuelle), par lequel, tout au long des années 1980-1990, prend corps une conception « rigide » de la « différence sexuelle », notamment dans l’acception proposée par les théoriciennes de la Libreria delle Donne de Milan et de la Comunità filosofica di Diotima de Verone.

Bien entendu, le panorama du féminisme qui se réfère à la « diffé-rence » est, en Italie, très composite, avec des positions très différentes et parfois conflictuelles. L’omniprésence du terme « différence (sexuelle) » est aussi le fait d’un usage naïf, fondé sur une sorte de fascination pour le mot lui-même, plutôt que sur la connaissance et l’acceptation de la « théorie de la différence [17] ».

Ce qui n’empêche pas, notamment en raison de la forte présence dans le débat de certaines positions théoriques (et notamment celles de la Libreria delle donne et de Diotima), que le terme de « différence sexuelle » renvoie d’une manière plus ou moins explicite à un corpus théorique bien précis, ce qui peut constituer « une raison de plus pour fuir le terme même de différence sexuelle [18] ».

L’article « Più donne che uomini » (« Plus femmes qu’hommes ») [19] et le livre Non credere di avere dei diritti [20] (Ne crois pas avoir des droits) constituent les lieux majeurs où s’est esquissée cette nouvelle conception de « différence » et, par conséquent, du féminisme. Les deux textes suscitent un vaste débat. Le premier texte surtout engendre une large discussion aussi bien au sein des syndicats que dans les centres culturels, dans les milieux de la recherche que dans les partis, en particulier dans le Parti communiste italien [21]. Cet article est aussi traduit immédiatement dans d’autres pays, commenté et discuté dans de nombreuses revues et à l’occasion de multiples rencontres, en Italie et à l’étranger. La revue du CRIF (Centre de recherches, de réflexion et d’information féministes), par exemple, consacre à « Plus femmes qu’hommes » son numéro de l’hiver 1983-1984 [22].

« Tout le féminisme italien doit la redéfinition de son débat interne [23] » à ce texte. Cette thèse, selon laquelle « Plus femmes qu’hommes » a permis l’ouverture d’un nouvel espace de débat, s’avère parfaitement réversible, comme en témoignent les paroles de cette femme du groupe Onda [24], selon laquelle l’espace était en réalité plus restreint qu’aupa-ravant : on avait seulement deux possibilités, « pour ou contre la Librairie des femmes de Milan [25] » et les femmes qui voulaient déplacer la question et réfléchir aux diverses possibilités d’action politique ont été isolées ou censurées par la presse.

Le débat s’est cristallisé en effet sur l’opposition égalité vs différence ; le terme de « différence sexuelle » valant comme synonyme de « féminisme » et celui d’« égalité » étant de plus en plus identifié avec la politique d’émancipation, c’est-à-dire avec la politique réformiste de la gauche historique qui était largement critiquée et rejetée par le féminisme des années 1960-1970.

Le principe de la « différence sexuelle » apparaît ainsi comme le fondement unique et absolu du féminisme : d’un côté le féminisme (de la différence), de l’autre la politique de la parité (i. e. la politique d’émancipation des femmes liées aux partis [26]). Ce schéma présuppose l’effacement de tous les autres féminismes des années 1970.

Paradoxalement Carla Lonzi elle-même — souvent citée par les féministes de la « différence » dans la reconstruction rétrospective de leur propre histoire — avait souligné le caractère stratégique de son propre discours qui aurait conduit à un nouveau


« […] stade de conscience [où] la femme refuse, comme un dilemme imposé par le pouvoir mâle, ou bien le plan de l’égalité ou bien celui de la différence, et affirme qu’aucun être humain et aucun groupe ne doit se définir ou être défini sur la base d’un autre être humain ou d’un autre groupe.[27] »


Cette mise au point pourrait à mon sens permettre de réinterpréter la revendication d’altérité comme une simplification nécessaire à la phase de constitution d’un sujet de lutte (et non pas comme la découverte ou la manifestation d’une essence marquée par la « différence ») [28], en consti-tuant ainsi une sorte de mise en garde ante-litteram contre les apories et les limites de la dichotomie égalité/différence, remarquées par plusieurs auteurs tout au long des années 1990 [29].

Les limites d’un certain type de discours sur la/les « différence(s) », développé dans les années 1970 — celui qui a eu les conséquences les plus importantes pour notre sujet —, résident dans le privilège accordé aux « différences entre femmes » comme différences subjectives, aux dépens des différences objectives, c’est-à-dire des conditions dans lesquelles les femmes sont placées [30]. C’est ici que se situe la condition de possibilité des transformations successives.

Les théoriciennes de la Libreria delle donne — et les mouvances qui s’y référent — postulent que la « différence sexuelle » est une « différence originaire », à laquelle toutes les autres différences sont subordonnées. La notion de « femme opprimée » est rejetée au nom de la différence entre femmes, mais cette référence, loin de conduire à une critique des diverses formes de discrimination et de domination (selon la classe, l’orientation sexuelle, la « race », etc.), débouche sur la reconnaissance de l’inégalité entre les femmes, inégalité censée cons-tituer, en tant que telle, une ouverture vers un espace de liberté féminine ; par l’affidamento, c’est-à-dire une relation entre femmes à partir de rapports duels d’allégeance, la femme la plus jeune, la plus faible, la moins douée, « si affida » à une autre femme, qui est en position sociale, culturelle et/ou économique supérieure [31]. La recherche de la « différence entre femmes », typique des années 1970, glisse ainsi vers la notion de disparità :


« Alors que le terme “ différence ” ne dit pas tout, la “ disparité ” exprime une différence en plus ou en moins. En menant à la Librairie une recherche sur les femmes écrivaines, on avait trouvé le moyen d’exprimer et de vivre de façon positive le fait de la disparité en reconnaissant à une autre femme la valeur de guide. On a théorisé à partir de là qu’il n’est pas possible de construire un monde de femmes si nous sommes toutes égales.[32] »


Ce n’est certainement pas un hasard si cette nouvelle mise en valeur des hiérarchies de status et de savoir a été en particulier rejetée par les femmes « minorisées » : les lesbiennes [33] mais aussi les femmes mi-grantes, dont les rapports avec le mouvement féministe italien ne sont pas toujours simples et les portent souvent à critiquer certains modèles émancipationnistes tout autant que les modèles d’« absolutisation » de la « différence » proposée par les italiennes [34].


Premières occurrences du binôme sexe/« race » (sexisme/racisme) dans le féminisme italien des années 1970


Cette conception de la/des « différence(s) » rend problématique, sinon impossible, la prise en compte de la « race » (au sens de sa critique et de son dépassement), tout comme le développement d’une réflexion sur le caractère spécifique des deux systèmes de domination (sexisme/racisme). Mais quelle a été l’histoire de la pensée féministe sur ces questions ?

Le couple « sexe/race » a joué un rôle décisif dans les mouvements féministes, en particulier au XIXe siècle aux États-Unis, où la lutte des femmes pour le vote et celle des abolitionnistes ont eu une histoire quasiment parallèle, bien que parfois conflictuelle [35]. Sojourner Truth, en 1869 déjà, pensait que la libération des femmes allait de pair avec la libération des Noirs, mais c’est dans les années 1970, avec le féminisme dit de la seconde vague [36], que la comparaison entre la situation des Noirs et celle des femmes s’affirme comme une référence majeure. Même la pratique de la non-mixité, c’est-à-dire l’exclusion des hommes — « exclusion fondatrice [37] », « acte fondateur (et mythique) [38] » — des mouvements féministes occidentaux des années 1970, compte, parmi ses sources les plus significatives, la lutte des Noirs du Black Panther Party :


« Le discours des Panthères Noires fournissait aux féministes — et à bien d’autres mouvements des années soixante-dix — une double référence (a) une analyse radicale des rapports de domination et d’oppression entre groupes sociaux ; (b) un modèle non moins radical — i. e. révolutionnaire — de lutte des dominés pour leur libération et pour la destruction de ces rapports.[39] »


Référence majeure qui allait jusqu’à laisser des traces dans le langage : plusieurs expressions utilisées par le mouvement féministe nord-américain ont été empruntées au mouvement des Noirs, telles que Women Power (Black Power), male supremacy (white supremacy), Aunt Thomasina (Uncle Tom) [40].

Même le terme de « sexisme », qui nous paraît aujourd’hui évident, n’existait pas il y a quelques décennies. Forgé au cours des années 1960 dans le contexte du féminisme américain, sur le modèle du terme « racisme », ce concept s’est ensuite étendu au niveau international [41]. En soulignant le parallélisme entre les mécanismes de l’oppression raciale et

sexuelle, les féministes entendaient démontrer que dans les deux cas des arguments de type biologique (appuyés sur des différences physiques perceptibles : la couleur de la peau, le sexe…) étaient employés afin de légitimer des systèmes de discrimination, de subordination et de dévalorisation. Les groupes féministes visaient ainsi à se frayer un passage, moyennant un rapprochement vers l’antiracisme de gauche :


« L’enjeu du débat était clair : il s’agissait de faire reconnaître la légitimité politique des nouveaux mouvements féministes. Et pour commencer, de récuser d’emblée, dans la discussion sur la domination de sexe — comme auparavant sur celle de « race » —, tout recours aux arguments de type essentialiste ou naturaliste, i. e. en termes de destin biologique.[42] »


Cette motivation d’ordre stratégique est nettement perceptible dans A kind of memo, texteThe Student Nonviolent Coordinating Committee, l’un des textes écrit en 1964 par Mary King et Casey Hayden de précurseurs du féminisme américain des années 1970 [43]. Dans les années suivantes, la comparaison entre sexisme et racisme s’intensifie, au fur et à mesure que les mouvements de lutte des Noirs acquièrent une plus grande visibilité. Plusieurs mouvements féministes révolutionnaires se réfèrent à l’expé-rience des mouvements de lutte afro-américains, dans laquelle Malcom X représente une étape fondamentale [44].

En France, cette référence apparaît clairement dans les écrits de Monique Wittig et de Christine Delphy. Cette dernière reprend en parti-culier l’expérience des Noirs pour rejeter les accusations de « racisme à l’envers » adressées aux féministes [45]. Quelques années plus tard, elle expliquera que la situation des autres groupes opprimés — des Noirs en particulier — était à la base du parcours qui l’avait amenée à L’ennemi principal, un des textes-clés du féminisme français des années 1970 [46] :


« J’ai, dans un premier temps, eu l’intuition que l’oppression des femmes est politique […] Je me suis mise à comparer dans ma tête la situation des femmes à la situation des Noirs, à la situation des juifs, c’est-à-dire à des oppressions dont à l’époque la plupart des gens reconnaissaient qu’elles étaient des constructions sociales et ne devaient rien à la constitution physique des individus qui constituent ces groupes. Alors j’ai conçu l’oppression des femmes comme étant du même ordre […] le groupe des femmes et le groupe des hommes sont dans des rapports de domination du même ordre que le groupe des Noirs par rapport au groupe des Blancs […] Et ceci […] veut dire deux choses. Primo que ces groupes-là sont d’abord définis comme l’un dominant et l’autre dominé, l’un oppresseur et l’autre opprimé. C’est cela qui les définit […]. Deuxièmement, que puisque ce qui définit les groupes, c’est leur situation relative l’un par rapport à l’autre, il y a une raison à ceci, une raison qui est constituée par les bénéfices que l’un des groupes tire de cette situation […] À partir de cette théorie de référence, puisque je faisais le postulat que l’oppression des femmes devait être vue de la même façon, il me fallait donc chercher quel était le bénéfice que tiraient les hommes, le groupe dominant, de la situation inférieure des femmes.[47] »


Le féminisme italien des années 1970 reprend la référence au couple « sexe/race », comme en témoigne, de manière emblématique, la couverture d’un ouvrage d’importance historique : La coscienza di sfruttata [48], figurant la silhouette d’Angela Davis menottée [49]. Les thèmes de l’oppression, de la discrimination et de l’exploitation des femmes par le système patriarcal, développés dans ce livre, sont ainsi symbolisés par la superposition de « femme » et « noire » (sexe et race). Cette couverture emblématique témoigne, par une image unique et efficace, que la comparaison entre la situation des Noirs et celle des femmes était, en 1977, déjà bien présente dans le débat italien en général et notamment dans le débat féminin/féministe, comme le démontrent les nombreuses occurrences de ce thème dans les écrits de la période.

« Le donne come i negri ? » (Les femmes comme les nègres ?), était le titre, en 1968, de l’éditorial du premier numéro de La via femminile (La voie féminine) [50], revue liée au parti radical. Cet article dénonçait la commune faute des « suffragettes et des idéologues féministes » et de Martin Luther King qui demandaient l’ouverture, dans des conditions d’égalité, des « présumés paradis de l’homme (pour la femme), ou du Blanc (pour le Nègre), ceux-ci, en admettant qu’ils soient des paradis, sont propres à l’homme (ou au Blanc) ».

En lisant les textes féministes, on est frappé par l’omniprésence du thème et la multiplicité des approches [51]. En témoignent le titre du numéro unique de la revue Donne è bello [52] du groupe « Anabasi » de Milan — titre évidemment calqué sur le slogan des noirs américains : Black is Beautiful [53] —, ou le nom de l’un des groupes féministes actifs à Bologne au milieu des années 1970, les Pantere Rosa.

C’est en 1970, dans le Sputiamo su Hegel déjà cité, qu’apparaît — à ma connaissance — la première référence au binôme sexe/« race » dans un écrit féministe italien. En poussant à l’extrême le thème du patriarcat, fondamental pour la quasi-totalité des féminismes de la période, c’est-à-dire celui de la commune oppression des femmes, Lonzi affirmait : « l’homme noir est égal à l’homme blanc, la femme noire est égale à la femme blanche [54] ». Ici, l’analogie du sexe et de la « race » figure une dénégation qui permet d’assurer le caractère fondamental de la différence sexuelle. Remarquons qu’à la même époque, aux États-Unis notamment, on commence à dénoncer le racisme implicite de l’analogie femmes-Noirs (et femmes blanches/femmes noires), ou de l’affirmation « Nous aussi nous sommes opprimées [55] ».


L’année suivante, le groupe Cerchio spezzato (Cercle brisé), dans le texte Non c’è rivoluzione senza liberazione della donna, Non c’è liberazione della donna senza rivoluzione (Pas de révolution sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans révolution), reprend la comparaison entre femmes et Noirs sur le modèle de A kind of memo [56]. Le paragraphe Le donne e i neri - Il sesso e il colore (Les femmes et les Noirs - Le sexe et la couleur) fonde l’analogie sur le fait biologique du sexe et de la « race » :


« Le processus de libération du peuple noir nous a fait de plus en plus prendre conscience de notre situation réelle et des analogies très strictes existantes entre eux et nous. Être femme tout comme être Noire est un fait biologique, une condition fondamentale. Comme le racisme, la suprématie masculine traverse toutes les couches de cette société et se renforce de plus en plus. […] L’unique possibilité de libération passe par la prise de conscience collective de sa propre condition spécifique. Se reconnaître en tant que femme, non pas comme inférieure, mais comme exploitée, c’est déjà sortir du ghetto de sa propre situation, se poser en force politique mettant en question les rapports sociaux existants. Seul un mouvement organisé et autonome des femmes peut déclencher un processus effectif de libération. Comme les Noirs d’Amérique qui, se reconnaissant exploités non seulement à cause de leur appartenance de classe mais aussi à cause de la couleur de leur peau, pour sortir de leur condition de subordination, luttent contre une société capitaliste mais aussi blanche ; de la même façon, les femmes ne pourront trouver une réelle voie de libération qu’en luttant contre une société qui n’est pas seulement capitaliste, mais aussi mâle.[57] »


La force de la comparaison, qui résidait dans sa valeur de contestation de toute forme de naturalisme (je songe entre autres à L’Ennemi principal), est maintenant ramenée par ce texte à un rôle inversé de fondation. Le paragraphe « Racisme et sexophobie » de La coscienza di sfruttata propose une version intensifiée et étendue de l’amalgame, par une série de comparaisons et de glissements métaphoriques :


« Le racisme et la sexophobie forment un binôme inséparable. Le racisme ne vit, ne prend corps, matière et signification, que s’il est mis en équation avec ce qui est “ différent ” » : différent qui devient pour lui immédiatement inférieur (la femme, le Juif, le Noir). C’est seulement si l’autre est défini comme inférieur et réduit à une condition d’impuissance objective que le raciste peut s’affirmer supérieur et puissant. […] L’unique expérience de masse comparable d’une certaine manière à l’esclavage des Noirs que l’Occident ait connue est l’enfer nazi. Les camps de concentration n’ont pas seulement été un système d’esclavage pervers, ils ont été aussi un patriarcat pervers, ce qui est moins évident mais plus précis. [Comme pour le raciste, le Noir] est toujours un adolescent par nature […] quel que soit son âge […] il est dépendant de la race Blanche, il a besoin d’un guide et de directives même pour réaliser les choses les plus simples et les plus indispensables ; [aussi] de nombreux prisonniers des camps de concentration nazis ont été transformés en enfants pleurnichards, serviles et dépendants. Le compor-tement infantile prend différentes formes : certains prisonniers s’identifient aux gardes SS et acceptent le système de valeur de la Gestapo […] La situation de dépendance absolue de l’esclave, du prisonnier, les oblige à considérer la figure de l’autorité comme étant réellement bonne. Pour les femmes, le camp de concentration c’est la maison : leur position subordonnée et dépendante à l’égard des hommes les conduit à s’identifier à eux.[58] »


L’originalité de ce discours tient au fait qu’il introduit, à côté du « Noir » (à l’époque, symbole privilégié incarnant la « race »), le « Juif ». Le stéréotype unissant les Juifs et les femmes, fondé sur leur rapport avec la sexualité, s’enracine dans une très ancienne tradition (du christianisme originaire jusqu’à Weininger) [59], mais sa reprise en termes critiques débouche ici sur un amalgame entre le sexisme et l’antisémitisme qui élude la spécificité de la condition et du sort réservés aux juifs (et aux juives) par le système génocidaire nazi.

La comparaison opérée par les féministes entre leur propre situation et celle des autres groupes opprimés « fut un moment, peut-être incontour-nable, dans l’émergence d’un mouvement, la recherche d’une identité, et l’analyse d’un système d’exploitation et d’oppression complexe, et irréductible à tout autre [60] ». Les analogies et les métaphores — comme celles de l’esclavage et de l’affranchissement — employées pour décrire et définir le sexisme ont été souvent utiles et fécondes [61].

Toutefois, l’analyse des premières occurrences du binôme sexe/« race » (sexisme/racisme) permet aussi de mettre en évidence les risques et les dérives entraînés par un amalgame entre ces deux systèmes. Relativement efficace sur le plan stratégique l’amalgame sexisme/racisme — et de certaines formes spécifiques de racisme, comme l’antisémitisme — comme l’identification hâtive des divers « anti » [62], montre, du point de vue théorique, de fortes limites.

Déjà, Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, avait remarqué les différences entre le « sexe » et la « race » :


« Les femmes ne sont pas comme les Noirs d’Amérique, comme les Juifs, une minorité : il y a autant de femmes que d’hommes sur terre. Souvent aussi les deux groupes en présence ont d’abord été indépendants […] et c’est un événement historique qui a subordonné le plus faible au plus fort : la diaspora juive, l’introduction de l’esclavage en Amérique, les conquêtes coloniales sont des faits datés. Dans ces cas, pour les opprimés il y a eu un avant : ils ont en commun un passé, une tradition, parfois une religion, une culture [les femmes] elles n’ont pas de passé, d’histoire, de religion qui leur soit propre […] il n’y a pas même entre elles cette promiscuité spatiale qui fait des Noirs d’Amérique, des Juifs des ghettos, des ouvriers de Saint-Denis ou des usines Renault une communauté. Elles vivent dispersées parmi les hommes […] Bourgeoises elles sont solidaires des bourgeois et non des femmes prolétaires ; blanches des hommes blancs et non des femmes noires […] Le lien qui l’unit à ses oppresseurs n’est comparable à aucun autre.[63] »


Elle soulignait aussi la différence fondamentale entre ces deux systèmes et l’antisémitisme :


« Qu’il s’agisse d’une race, d’une caste, d’une classe, d’un sexe réduits à une condition inférieure, les processus de justification sont les mêmes. “ L’éternel féminin ” c’est l’homologue de “ l’âme noire ” et du “ caractère juif ”. Le problème juif est d’ailleurs dans son ensemble très différent des deux autres : le Juif pour l’antisémitisme n’est pas tant un inférieur qu’un ennemi et on ne lui reconnaît en ce monde aucune place qui soit sienne ; on souhaite plutôt l’anéantir.[64] »


Dans une étude pionnière sur la naissance de la notion de sexisme et de sa liaison problématique avec le racisme, Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel insistaient sur la nécessité d’examiner les divergences considérables entre ces deux phénomènes « si l’on veut faire avancer à la fois nos analyses et les luttes des femmes contre le sexisme [65] », en envisageant trois différences majeures. Premièrement : si les deux notions décrivent un ensemble social complexe d’institutions et de compor-tements individuels, les analyses féministes mettent en cause l’ensemble d’un système (le patriarcat) et l’explorent dans toutes les formations sociales existantes, alors que le racisme définit des domaines plus sectorisés de la société [66]. Deuxièmement : les femmes, à la différence des autres groupes d’opprimés, n’ont pas une existence, une histoire et une culture antérieures, puisqu’elles n’ont pas vécu séparément avant la mise en place des phénomènes d’oppression et d’exploitation (par exemple : les Noirs et l’esclavage). Enfin,


« […] et c’est sans doute là le trait le plus spécifique du sexisme, comparé à tous les autres systèmes de discrimination et de domination : aucun d’entre ceux-ci n’a focalisé de façon aussi massive l’immense majorité des productions idéologiques et culturelles de nos sociétés […] et surtout, aucun d’entre eux n’a suscité aussi clairement une double image, ambivalente, mais aux deux facettes également développées, du groupe opprimé (résumé, schématiquement, dans le couple mère/putain) : les productions antisémites des années 30 ne regorgeaient pas d’images de “ bons juifs ”, indispensables à la survie des institutions allemandes ; et la littérature américaine ne tourne pas, entièrement, autour de l’apologie de l’oncle Tom.[67] »


La volonté d’analyser et d’expliciter les rapports entre les repré-sentations de la différence des sexes et celles des différences ethniques ou de « race », évitant les impasses de l’amalgame ou de la simple juxtaposition, a été l’un des thèmes privilégiés de la revue Sexe et race. Discours et formes d’exclusion du XIXe au XXe siècle, née à l’intérieur du séminaire homonyme animé par Rita Thalmann à l’université Paris VII [68].

La conjoncture actuelle — marquée par l’importance croissante accor-dée à la « différence » — impose de franchir les limites de l’analogie sexisme/racisme. Il ne s’agit pas


« […] de renoncer purement et simplement à ce qui fait la valeur heuristique de cette analogie, à la fonction positive qu’elle peut remplir, socialement et politiquement, en obligeant à regarder en face l’ensemble des mécanismes d’exclusion, de discrimination et de stigmatisation qui procèdent d’une dévalorisation générique. [69] »


Au contraire, il s’agit plutôt d’être plus attentif à ce qui, dans cette analogie, fait problème. En effet, on a assisté ces dernières années à la reproduction de l’amalgame sur des bases plus problématiques et ambi-guës. À un antiracisme voué à la défense des « identités culturelles » et au respect des « différences » [70] font écho certaines mouvances féministes qui ont poussé la critique de l’universalisme jusqu’à l’abandon du concept d’égalité au profit de « l’invocation rituelle et pieuse du “ respect des différences ” — et bien sûr, au premier chef, de la différence des sexes [71] ». Si l’antiracisme, en particulier sous sa forme multiculturaliste, partage des homologies embarrassantes avec l’appareil discursif et conceptuel du champ qu’il combat, ces féminismes se heurtent, dans leur propre domaine spécifique, à un problème analogue [72].


Italiani brava gente, c’est-à-dire le mythe du « bon Italien ». Et les Italiennes ?


En Italie, après la présence initiale du thème sexisme-racisme, s’en est suivi un certain silence des analyses féministes. À partir des années 1980, il y a un nouvel intérêt pour la question, coïncidant avec nombre de traductions de textes édités aux États-Unis [73] qui introduisent dans le débat la question du « racisme » de la théorie féministe vis-à-vis des femmes des minorités, question récurrente aux États-Unis chez les mou-vements féministes dès le milieu des années 1970.

Toutefois, ce renouveau problématique, bien qu’il ait donné lieu à nombre de publications (mais aussi de rencontres, de séminaires, de groupes, etc.), principalement sur les questions de l’« interculturalité » et des femmes migrantes, ne semble pas avoir produit des effets majeurs sur les catégories courantes du féminisme italien. L’absence d’une réflexion sur les problématiques du sexisme/racisme et les dérives ou les impasses qu’elles entraînent [74], a eu pour effet de produire de nouvelles analogies ou métaphores, désormais centrées autour de la figure du migrant (et/ou du colonisé), laquelle a pris la place jadis occupée par celle du « Noir ». En témoigne la métaphore de « l’émigration », qui est censée exprimer l’« extranéité » et le dépaysement propre de « l’être femme » ; le féminisme et l’émigration devenant deux expressions de l’exil perpétuel, deux manières d’exister à partir d’une perte fondamentale et originaire : celle de la « langue maternelle » [75].

En 2005, dans le cadre d’un séminaire organisé par l’association Punto di Partenza [76], les participantes ont travaillé sur quelques nœuds historiques et théoriques, nécessaires à la compréhension de l’actuelle perception — ou plutôt de la non-perception — du sexisme et du racisme.

Ont été évoqués le rôle joué par « le rideau fumigène du multiculturalisme » (c’est-à-dire « un certain multiculturalisme banalisé, rhétorique et rituel [qui] sert à cacher le racisme institutionnel, le déséquilibre de pouvoir, le manque de droits de cité »), ainsi que celui joué par les élites (pouvoirs économiques, intellectuels, mass media, institutions sociales et politiques), dans la reproduction de l’ordre social et économique, via l’instrumentalisation de la visibilité/invisibilité de l’autre : d’un côté l’amplification médiatique d’événements connotés de façon négative, visant la création d’une perception collective suscitant la crainte (les débarquements de migrants sur les côtes méridionales de l’Italie ou les faits divers) ; de l’autre le lavoro di cura effectué par les migrantes.

Le poids de l’héritage de l’expérience coloniale et de son refoulement est déterminant, en particulier en Italie, et rend nécessaire la reconstruction d’une mémoire collective. Selon les intervenantes de la rencontre :


« Prendre conscience de la manière dont nombre de pratiques, même féministes, perpétuent une idée de tutelle et une volonté de sauver les femmes migrantes qui rappelle la mission civilisatrice qui a été la justification historique de l’entreprise coloniale […] Penser les femmes migrantes comme des victimes passives, besogneuses, sous la tutelle occidentale, ça signifie reproduire les différences historiques de pouvoir héritées de la période coloniale.[77] »


Pour ma part, je partage l’opinion de Paola Tabet, et sans méconnaître le poids de l’expérience coloniale, je pense que ce refoulement de l’histoire est, dans le cas italien, « assez extraordinaire [78] » : tout entier résumé dans le mythe du bravo italiano [79] et sa singulière permanence, il ne concerne pas seulement le colonialisme des XIXe et XXe siècles, mais aussi l’anti-judaïsme catholique, le racisme (les racismes) [80] du fascisme, les préjugés anti-méridionaux et anti-tsiganes [81]. La conscience que « l’actualité est nouée aux traces singulières du passé » rend nécessaire de garder toujours à l’esprit « qu’il n’existe pas un racisme invariant, mais des racismes formant tout un spectre ouvert de situations [82] ».

Par-delà sa construction médiatique, le « problème » des migrants, lié notamment aux conditions inhumaines de réclusion dans les CPT (Centres de permanence temporaire), se pose pour toute perspective critique et nécessite un regard plus large, à même de saisir l’épaisseur historique et la complexité des parcours racistes qui rendent possible la situation actuelle. D’autres éléments liés à l’histoire des racismes italiens sont toujours présents, bien que moins « éclatants », et entretiennent un rapport avec certains aspects du racisme contre les migrants : du racisme anti-méridional réactivé par la Ligue du Nord à la permanence de l’antisémitisme.

La recherche historique a permis de mettre en perspective le mythe du « bon Italien ». Jusqu’aux années 1960-1970, l’historiographie coloniale présentait une continuité évidente avec les thèmes, les interprétations et les reconstructions développés dans la période fasciste, comme l’équation colonialisme-civilisation. À partir du milieu des années 1970, en rupture avec les lignes traditionnelles d’interprétation, de nouvelles recherches ont montré que le colonialisme italien n’était pas plus « humain » que les autres [83]. En ce qui concerne les racismes et l’antisémitisme spécifiques au fascisme, les chercheurs ont, par exemple, montré que les lois racistes de 1938 n’étaient pas une simple « concession » faite au nazisme, mais, au contraire, qu’elles étaient le résultat d’un long processus national. Une étape décisive a été l’exposition (et le livre) La menzogna della razza [84].

La réflexion féministe sur ces thèmes a été tardive, et s’est heurtée à diverses difficultés. En ce qui concerne la période coloniale, Barbara Sòrgoni, dans un texte qui peut être considéré comme pionnier dans les études sur le colonialisme italien dans une perspective de genre [85], a remarqué que certaines pistes de recherche qui, dans d’autres pays, ont été fécondes, sont difficilement applicables au contexte colonial italien. Par exemple, la littérature anglophone historico-anthropologique a mis en lumière la centralité de la question sexuelle et de genre dans l’idéologie et la pratique coloniales, en travaillant sur les écrits (lettres, mémoires, journaux de voyage) laissés par les nombreuses femmes anglaises qui avaient été, pour des raisons diverses, dans les colonies de l’ancien Empire britannique. En brisant une longue tradition qui mettait dos à dos le silence sur les femmes « blanches » dans les colonies ou leur respon-sabilité dans la mise en place des politiques de discrimination raciale [86], des études récentes ont travaillé, dans toute leur complexité, les méca-nismes de complicité et de résistance envers les valeurs dominantes [87].

La difficulté de traduire ces orientations de recherche sur le terrain colonial italien, réside dans ce que les femmes italiennes qui se rendirent en Erythrée étaient très rares, comme le sont les récits qu’elles nous ont transmis.

Pour la période fasciste, l’explication du retard dans l’étude des phénomènes de nationalisations des masses mises en place par le régime fasciste, comme des formes de la participation politique des femmes dans le parti et les organisations de masse, demande quelques explications. La recherche féministe italienne a privilégié le terrain de la subjectivité, analysant la présence des femmes pendant la deuxième guerre mondiale en mettant au premier plan les stratégies de résistance collective et indi-viduelle et la vaste participation politique au mouvement partisan. Cette orientation était aussi une réponse au fait qu’en Italie, la participation des femmes à la Résistance a été longtemps méconnue : « refoulée » ou réduite en termes d’« aide » et/ou de « contribution ». Le titre d’un livre de 1976, La Resistenza taciuta [88], résume bien cette situation.

Le travail des historiennes féministes a mis en lumière l’importance du rôle des femmes dans la lutte contre le nazi-fascisme, en cherchant à sortir de l’hagiographie (dominante de l’après-guerre aux années 1960), pour montrer comment, au-delà des figures exemplaires souvent figées en termes rhétoriques, la participation des femmes à la Résistance fut bien plus massive que l’on a pu le penser. Cette participation n’a pu être comprise tant qu’on s’en tenait aux données numériques concernant les femmes engagées dans des activités organisées (dans les groupes combattants, mais aussi dans le Gruppi di difensa della donna) ou les femmes poursuivies, emprisonnées, torturées, exécutées ou déportées. Il était nécessaire de prendre en compte non seulement ces femmes (dont la plupart échappaient aux critères très stricts adoptés à la Libération pour la reconnaissance du titre de résistant), mais aussi la grande masse anonyme des femmes qui avaient aidé les partisans, les déserteurs et les juifs. Du reste, il est clair que, sans ce large réseau de soutien, constitué principa-lement de femmes, la lutte

partisane elle-même n’aurait pas été possible. Des historiennes ont encouragé l’introduction de la catégorie de « résistance civile » (élaborée par Jacques Sémelin dans un contexte différent) comme un outil d’analyse profitable[89]. Cette perspective a permis de comprendre la multiplicité de conduites non immédiatement réductibles à la résistance armée et/ou organisée. Mais malgré l’intérêt de ces recherches, l’usage du concept de « résistance civile » comporte des risques non négligeables (risques, du reste, déjà soulignés dans d’autres contextes nationaux, notamment dans le cas allemand) [90].

En premier lieu, la catégorie de « résistance civile » (qui pose, en tant que telle, des difficultés de délimitation) a subi un processus d’extension qui a conduit à l’inclusion des pratiques quotidiennes (comme la recherche de nourriture et d’autres biens de première nécessité), relevant de la survivance plutôt que de la résistance, au risque de banaliser cette dernière. Si l’offre d’un verre d’eau à un partisan — ce qui entraînait, selon un édit de la République de Salò, d’être passé(e) par les armes — peut être considérée comme un acte de résistance, peut-on en dire autant de la transgression du couvre-feu pour se procurer de la nourriture ? On risque ainsi de produire une version féminine du « tous résistants », ou du mythe du bravo italiano. Un risque d’autant plus accentué par le fait que — à quelques exceptions près — ces recherches, en privilégiant la période 1943-1945, éludent une interrogation sur la dimension féminine du consensus au fascisme pendant le « ventennio » et sur le militantisme fasciste féminin.

Des recherches plus récentes ont visé à élargir le débat et à rompre avec les schémas en vigueur quant à l’interprétation du rôle des femmes, en mettant en question


« […] le stéréotype ancré de “ la belle âme ”, qui veut que les femmes soient traditionnellement pacifistes, pour montrer que celles-ci ne furent ni étrangères ni innocentes par rapport aux atrocités des régimes totalitaires, et encore moins par rapport aux violences des guerres.[91] »


Mais, nonobstant cette mise en garde, l’attention portée à la subjec-tivité, qui « renvoie au privilège politique du thème de la différence sur celui de l’égalité [92] », perdure encore dans la recherche italienne. Anna Rossi-Doria a remarqué que le privilège assigné à la subjectivité risque de rendre difficile, par exemple, la différenciation entre les femmes résistantes et les « repubblichine » (volontaires de la République de Salò) [93]. Une telle difficulté devient de plus en plus dangereuse dans la longue conjoncture italienne qui a connu une montée des révisionnismes (jusqu’au négationnisme) qui, dans ses diverses déclinaisons n’a pas seulement intéressé la droite (vieille et/ou nouvelle), mais aussi la gauche, soit institutionnelle soit alternative [94].


Pour (ne pas) conclure

L’importance croissante du « lavoro di cura » (care) qui, dans la crise du welfare state, a concerné la totalité des femmes, constitue l’un des terrains privilégiés de l’actualisation critique des réflexions sur le sexisme et le racisme, dans la mesure où, aujourd’hui en Italie, ce sont de plus en plus les migrantes qui assurent massivement le fameux lavoro d’amore (travail d’amour) jadis analysé, critiqué et refusé par les féministes des années 1970 [95].

Sur le fond des grandes questions économiques, politiques et sociales posées par cette situation, le rapport entre les migrantes et les natives s’est imposé comme un nœud crucial [96]. Comme l’ont montré les expériences de confrontation entre femmes natives et migrantes [97], cette redistribution des travaux traditionnellement féminins, entraîne un déplacement radical de la réflexion en interpellant directement les femmes italiennes :


« C’est à nous, notre personne, à être concernées par ce rapport. Nous les femmes, même engagées politiquement ou professionnellement, nous femmes “ normales ”. Dans le choix du travail extérieur, les femmes n’ont pas réussi à créer un rapport de collaboration avec le partner. La gestion de la maison, de la famille n’est pas suffisamment partagée […] Autre élément : les femmes italiennes ont un concept de maison qui frise le perfectionnisme […] C’est donc une partie du travail de la femme italienne qui, aujourd’hui, pèse sur le dos des femmes étrangères […] Et le jeu de la rétribution est lié au fait que toi, femme italienne normale, tu n’es pas très riche, tu veux quand même travailler et peut-être épargner quelque chose. C’est sur cette couche de la population que je voudrais mettre le doigt : celle qui s’est battue pour l’émancipation de la femme et qui aujourd’hui est confrontée à la force de travail migrante.[98] »


Face aux migrantes, la question se pose d’un déplacement de regard, reconnaître


« […] non seulement l’équivalence mais le déplacement apporté par les féminismes du sud du monde. Mais il ne s’agit pas seulement d’un acte de connaissance/étude, mais d’un déplacement d’axe dans la pensée et dans les rela-tions : nous travaillons justement à l’intérieur de la relation migrantes/natives, qui est complexe, mais surtout est profondément asymétrique. La reconnaissance des asymétries dans les relations avec les migrantes me semble le grand refoulé.[99] »


Ce n’est pas un hasard si le refus de l’interrogation de ces asymétries, taxée de manifester le « chronique sentiment de culpabilité » des « femmes occidentales », est défendu par les tenantes du pensiero della differenza sessuale. La réintroduction de la primauté de l’« être femmes » comme un élément sous-jacent ou transcendant les autres différences tend ainsi à effacer la rupture de cette unité fictive opérée par la critique venant des femmes des groupes « minorisés ».

À la phrase de Bell Hooks, afro-américaine, en Italie seulement pour quelques jours, en exergue à cet article, fait écho — pour (ne pas) conclure — Geneviève Makaping, originaire du Cameroun, en Italie depuis plus de vingt ans :


« Au nom de quoi la femme du “ Premier monde ” et moi, nous devrons, ensemble, entreprendre des actions communes contre le pouvoir du mâle, le sien et le mien, si je pars déjà désavantagée, étant donné le privilège de sa blancheur ? Un privilège dont les femmes occidentales n’ont pas toujours eu une conscience critique. Je ne sais pas si un débat sur l’argument a été déjà tenu. Parfois, dans mon expérience, j’ai éprouvé le pouvoir de la femme blanche sur moi, tel que celui que son mâle détient à mon endroit. Si elle a un maître, j’en ai deux. S’il y a des expériences qui traversent notre vie en nous rendant égales, il y en a aussi des autres qui créent nettement des différences, parfois incommensurables pour l’absence de prise de conscience et de dialogue.[100]


__________________________________

*Su questo numero dell'Homme, si veda anche Portail Genre, , , , .




[1]. Bell Hooks, « Oppositional gaze : istruzioni per l’uso », entretien avec Maria Nadotti, in Inchiesta, n° 125, juillet-septembre 1999.

[2]. « Celui-ci et non autre, c’est le thème du féminisme », écrit Maria Luisa Boccia, « Equivoci e dissensi in merito », in Reti, n° 5, septembre-octobre 1989, p. 25-28, p. 26.

[3]. Liliane Kandel, « Sur la différence des sexes, et celle des féminismes », in Les Temps Modernes, n° 609, juin-juillet-août 2000, p. 283-306, p. 288. Kandel montre que le terme de « différence » est pratiquement absent des premiers textes, ouvrages ou numéros de revues collectifs issus du MLF, tout comme dans les premiers textes du groupe « Psychanalyse et Politique », pôle du différentialisme féminin militant français, et qui sera une des références majeures du différentialisme italien.

[4]. Ibidem, p. 290. Notamment dans le texte du groupe « Psychanalyse et Politique », avec l’usage du mot « femme » comme synonyme d’altérité, ou à travers les critiques adressées aux féministes du courant égalitariste, les « beauvoiriennes ».

[5]. Geneviève Fraisse, « La différence des sexes, une différence historique », in Geneviève Fraisse et al., L’exercice du savoir et la différence des sexes, Paris, L’Harmattan, 1991, reproduit in Geneviève Fraisse, La controverse des sexes, Paris, PUF, 2001, p. 13-38.

[6]. Geneviève Fraisse, La différence des sexes, Paris, PUF, 1996.

[7]. Carla Lonzi, « Sputiamo su Hegel » [été 1970], in Sputiamo su Hegel, La donna clitoridea e la donna vaginale e altri scritti, Milan, Rivolta Femminile, 1974, p. 19-61, p. 20-21. Des larges extraits de ce texte ont été traduits en français : Cf. Michèle Causse et Maryvonne Lapouge (dir.), Écrits, voix d’Italie, Paris, Des Femmes, 1977. Le Manifesto di Rivolta femminile (juillet 1970), où le terme de « différence » est absent, en anticipait le sens par la notion d’altérité : « La femme est autre par rapport à l’homme. L’homme est autre par rapport à la femme », cf. Carla lonzi, op. cit., p. 11.

[8]. Cf. le très célèbre article de Christine delphy, « Proto-féminisme et anti-féminisme », Les Temps Modernes, n° 346, 1975, reproduit in L’ennemi principal, tome I : Économie politique du patriarcat, Paris, Syllepse, 1998, p. 217-254 ; l’article de Colette Guillaumin, « Questions de différence », in Questions féministes, n° 6, 1979 ; les attaques contre Luce Irigaray de Monique Plaza, « Pouvoir phallo-morphique et psychologie de la femme », in Questions féministes, n° 1, 1977 et « La même mère », in Questions féministes, n° 7, 1980.

[9]. Carla lonzi, « Premessa », in op. cit., p. 8.

[10]. Differenze, n° 1, juin 1976, p. 1. Le dernier numéro de la revue, édité à Rome par différents collectifs, date de 1978.

[11]. Manuela Fraire, Rosalba Spagnoletti et Marina Virdis (éds.), « Editoriale », in L’almanacco. Luoghi, nomi, incontri, fatti, lavoro in corso del movimento femminista italiano dal 1972, Rome, Edizioni delle donne, 1978, p. 5.

[12]. Giovanna Amato, Rosalba Bocciarelli et Paola Masi, « Les féministes et les luttes universitaires », in Louise Vandelac (éd.), L’Italie au féminisme, Paris, Tierce, 1978, p. 182-191, p. 183.

[13]. Ibidem, p. 183-186.

[14]. Cette question, qui est à l’origine de ce travail, m’a été posée par Elsa Dorlin, que je remercie pour ses encouragements constants, sa confiance, et notamment pour la fécondité de nos discussions.

[15]. Eleni Varikas, « Conclusion », in Dominique Fougeyrollas -schwebel, Christine Planté, Michèle Riot-Sarcey et Claude Zaidman (éds.), Le genre comme catégorie d’analyse, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 197-209, p. 200.

[16]. Anna Rossi-Doria, « Individualità e valore di genere nel pensiero politico delle suffragiste », in Reti, n° 3-4, mai-aôut 1989, p. 100-110, p. 100-101.

[17]. Cf. Lidia Cirillo, Meglio orfane. Per una critica femminista al pensiero della differenza, Rome, Nuove Edizioni Internazionali, coll. « Quaderni Viola », n° 1, 1993. Tout aussi vaste et composite est le panorama des féminismes italiens opposés aux féminismes dits « de la différence ».

[18]. Elisabetta Donini , « Questa metà della terra. Alcuni nodi del dibattito “ differenza e differenze ” in Reti », in Reti, n° 6, novembre-décembre 1989, p. 64-71, p. 68.

[19]. Collettivo n° 4, « Più donne che uomini », in Sottosopra, 1983, traduction française « Plus femmes qu’hommes », in Change International, n° 1, automne 1983, p. 74-78.

[20]. Libreria Delle Donne Di Milano, Non credere di avere dei diritti. La generazione della libertà femminile nell’idea e nelle vicende di un gruppo di donne, Turin, Rosenberg & Sellier, 1987.

[21]. Le PCI — puis PDS, Parti démocratique de la gauche, aujourd’hui DS, Démocrates de gauche — a été l’un des lieux forts du féminisme de la « différence ». La « Carte itinérante » des femmes du PCI en reprend les analyses et le langage ; cf. Sezione femminile Della Direzione Del Pci (éd.), « Dalle donne la forza delle donne. Carta itinerante », Rome, 1986.

[22]. Alisa Del Re, Sylvie Coyaud et Christiane Veauvy, « Les réflexions féministes menées en Italie dans les années 80 », in Centre de recherches, de réflexion et d’information féministes, n° 4, hiver 1983-1984.

[23]. Anna Maria Crispino, « Le féminisme et la gauche. La route des collisions », in Peuples Méditerranéens, n° 67, avril-juin 1994, p. 39-57, p. 44.

[24]. L’Organizzazione nazionale donne autonome, née en 1987 dans le but de dénoncer et de contester l’hégémonie différentialiste.

[25]. Paola Di Cori, « Come mai Onda ? », in Reti, n° 5-6, septembre-décembre 1991, p. 5-6, p. 5.

[26]. Notamment UDI (Union des femmes italiennes) et les femmes des partis de gauche.

[27]. Carla Lonzi, « Sputiamo su Hegel », in Sputiamo su Hegel, La donna clitoridea e la donna vaginale e altri scritti, op. cit., p. 22.

[28]. Sur la notion de « simplifications nécessaires » voir aussi Michel Foucault, « Non au sexe roi » [1977], in Dits et écrits, tome III, Paris, Gallimard, 1994, p. 256-269, p. 265.

[29]. Cf. Joan Scott, « Deconstructing equality-versus-difference : or the use of postructuralist theory for feminism », in Feminist Studies, n° 1, 1988 ; Geneviève Fraisse, « Entre égalité et liberté », in Ephesia , La place des femmes. Les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, 1995 et La différence des sexes, op. cit. ; Eleni Varikas, « Égalité », in Helena Hirata, Françoise Laboire, Hélène Le Doaré et Danièle Senotier (éds.), Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2000. Les limites et les impasses du débat égalité/différence dans le féminisme italien constituent le sujet de ma thèse de doctorat en cours. Que Geneviève Fraisse, ma directrice de thèse, soit ici remerciée pour la confiance et la patience qu’elle m’a toujours accordées.

[30]. Comme le souligne Guillaumin à propos de certaines analyses actuelles, et pas seulement italiennes ; cf. Colette Guillaumin, « “ Finché avremo delle donne per farci i figli ”. A proposito di razza e sesso », article consultable en ligne, dans le site Donne contro i fondamentalismi réalisé par Elena Laurenzi, Paola Tabet et Pia Ranzato, à l’adresse http://www.wforw.it/Guillaumin.html

[31]. Cf. Luisa Muraro, « Plus femmes qu’hommes », entretien avec Luce Irigaray, in Luce Irigaray, Je, tu, nous. Pour une culture de la différence, Paris, Grasset, 1990, p. 117-124.

[32]. Luisa Muraro, entretien avec Christiane Veauvy, in Christiane Veauvy, « Le mouvement féministe en Italie », Peuples Méditerranéens, n° 22-23, Janvier-Juin 1983, p. 109-130, p. 127.

[33]. Cf. Collegamento Lesbiche Italiane, Il nostro mondo comune. Un contributo del CLI al dibattito aperto dal gruppo n° 4 di Milano, Rome, Felina Editrice, 1983.

[34]. Giovanna Campani, « Amiche e sorelle », in Giovanna Vicarelli (dir.), Le mani invisibili. La vita e il lavoro delle donne immigrate, Rome, Ediesse, 1994, p. 41.

[35]. La bibliographie fournie à ce sujet par Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel , « Le sexisme comme réalité et comme représentation », in Les Temps Modernes, n° 444, juillet 1983, p. 3-27, et aussi Angela Davis, Women, Race and Class, New York, Random House, 1982, traduction française : Femmes, race et classe, Paris, Des Femmes, 1982.

[36]. Il faut souligner que l’opposition entre une première (c’est-à-dire le féminisme qui émerge dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, caractérisé par les luttes pour le droit de vote) et une seconde vague (c’est-à-dire le féminisme qui débute en Amérique du Nord et en Europe entre le milieu des années 1960 et le début des années 1970), est, aujourd’hui, écarté par certaines historiennes parce qu’elle témoigne d’une historiographie encore lacunaire des mouvements féministes ; cf. Dominique Fougeyrollas-Schwebel, « Mouvements féministes », in Helena Hirata, Françoise Laboire, Hélène Le Doare et Danièle Senotier (éds.), op. cit. L’insuffisance de réflexion critique sur la période 1920-1960, par exemple, laisse de côté l’âge du fascisme et l’après-guerre, en effaçant ainsi les questions cruciales de l’éventuelle transmission d’éléments du « féminisme latin » aux féminismes postérieurs, et les problèmes posés par le passage de certaines intellectuelles du fascisme aux mouvements féministes après la Libération. Le cas emblématique de Nora Federici, démographe antisémite pendant le fascisme et élue en 1956 au Comité national de l’UDI est rappelé par Anna Treves, Le nascite e la politica nell’Italia del Novecento, Milan, Led, 2001 (je remercie Mauro Raspanti, qui m’a signalé ce texte).

[37]. Régine Dhoquois, Appartenance et exclusion, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 119.

[38]. Liliane Kandel , « La non-mixité comme métaphore », in Claudine Baudoux et Claude Zaidman (éds.), Egalité entre les sexes. Mixité et démocratie, Paris, L’Harmattan 1992, p. 231-248, p. 232.

[39]. Ibidem, p. 242-243.

[40]. Cf. Nicole Decure, Le choix intolérable ou l’évolution des mouvements féministes aux États-Unis, thèse de troisième cycle, université de Toulouse Le Mirail, décembre 1974.

[41]. Pour une problématisation historique et théorique du terme « sexisme » et des limites de la comparaison avec le « racisme », cf. Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel , « Le sexisme comme réalité et comme représentation », op. cit. et l’article « Sexisme », in Encyclopédie philosophique universelle, tome II, Paris, PUF, 1990.

[42]. Liliane Kandel , « Faurisson-“ Détective ” : même combat ? Les féministes entre la “ fin des utopies ” et la naissance du révisionnisme », in Liliane Crisp, Michel Cullin, Nicole Gabriel et Fritz Tauber (éds.), Nationalismes, féminismes, exclusion. Mélanges en l’honneur de Rita Thalmann, Frankfurt/Main, Peter Lang, 1994, p. 395-409, p. 401. Pour les lignes fondamentales d’une critique du naturalisme et du biologisme comme théorie « indigène » ou « spontanée » de l’oppression, cf. Christine Delphy, L’ennemi principal, tome I : Économie politique du patriarcat, op. cit., p. 21-23.

[43]. Le texte, dont le titre complet est « Sex and Caste : A Kind of Memo from Casey Hayden and Mary King to a number of other women in the peace and freedom movements », est consultable en ligne à l’adresse :

http://www.cwluherstory.com/CWLUArchive/memo.html

[44]. Alessandro Portelli, « L’antifemminismo di Malcom X », Nuova DWF, gennaio-marzo 1977, p. 88-100. Même Bell Hooks, l’une des plus grandes intellectuelles contemporaines, a placé au cœur de son travail les questions du sexisme et du racisme, et reconnaît Malcom X comme une référence théorique et politique qui a eu une importance centrale dans son propre parcours de politisation. Cf. Maria Nadotti, Scrivere al buio. Maria Nadotti intervista Bell Hooks, Milan, La Tartaruga edizioni, 1998, p. 45 ; cf. également Juliet Mitchell , Woman’s Estate, Harmondsworth, Middlesex Penguin Books Ltd, 1966 ; Shulamith Firestone, The Dialectic of Sex. The Case for Feminist Revolution, New York, William Morrow and Company, 1970 (cf. en particulier le chapitre V « Racism : the sexism of the family of man »).

[45]. Christine Delphy, « Nos amis et nous. Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes » [1977], in L’ennemi principal, tome I : Économie politique du patriarcat, op. cit., p. 167-215.

[46]. Christine Dupont, « L’ennemi principal » [1970], in Christine Delphy, L’Ennemi principal, tome I, op. cit., p. 31-56, traduction italienne : « Il nemico numero uno », in Anabasi, Donne è bello, febbraio 1972, p. 40-66.

[47]. Christine Delphy, « Le patriarcat : une oppression spécifique » [1988], in L’Ennemi principal, tome II : Penser le genre, Paris, Syllepse 2001, p. 55-90, p. 55-57. Dans le même numéro de Partisans qui avait publié L’ennemi principal (numéro spécial Libération des femmes, n° 54-55, juillet-octobre 1970) les références au binôme sexe/« race » sont fréquentes.

[48]. Luisa Abbà, Gabriella Ferri , Giorgio Lazzaretto, Elena Medi et Silvia Motta, La coscienza di sfruttata, 1972, Milan, Mazzotta, 1977, traduction française : Un Collectif Italien, Être exploitées, Paris, Éditions des Femmes, 1974.

[49]. Enseignante à l’université de San Diego en Californie en 1970, Angela Davis prend la défense des frères de Soledad, trois noirs injustement accusés du meurtre d’un gardien de prison. Exclue de l’université, elle est emprisonnée pendant deux ans à New York, provoquant une vaste campagne internationale pour sa libération.

[50]. Guido Tassinari, « Le donne come i negri ? », La via femminile, n° 1, anno 1, décembre 1968, p. 3-4. Je remercie Olga Pignatelli, excellente bibliothécaire précaire à la Biblioteca Italiana delle Donne de Bologne, dont l’aide m’a été précieuse.

[51]. Les positions de Lotta femminista, l’un des groupes les plus connus et actifs des années 1970, se détachent sensiblement de ce panorama. En évitant les comparaisons génériques, Lotta femminista propose des analyses mieux articulées et attentives aux disparités de pouvoir entre les diverses couches de classe : ouvrier indigène vs immigré (non seulement les Noirs mais aussi les immigrés intérieurs, soit les méridionaux), ouvrier salarié et femme sans salaire, double infériorisation des femmes immigrées, etc. ; Lotta Femminista, L’offensiva, Quaderni di Lotta Femminista n° 1, Turin, Musolini Editore, décembre 1972.

[52]. Anabasi, Donna é bello, op. cit., où les références à ce thème sont nombreuses et hétérogènes : le texte déjà cité de Il cerchio spezzato, l’article de Wittig : « Lotta per la liberazione della donna », la traduction de L’ennemi principal, le manifeste du groupe new-yorkais Redstockings ou s’affirme que la male supremacy est « la plus ancienne et fondamentale forme de domination. Toutes les autres formes d’exploitation et d’oppression (racisme, capitalisme, impérialisme, etc.) sont une extension de la suprématie masculine ».

[53]. La revue est souvent citée comme « Donna è bello », par une sorte de remplacement spontané du pluriel « donne » par le singulier (Cf. Yasmine Ergas, « Le sujet femme. Le féminisme des années 1960-1980 », in Georges Duby et Michelle Perrot (éds), Histoire des femmes en Occident. De l’Antiquité à nos jour, 5e vol., Paris, Plon, 1992, p. 499-521, mais aussi Manuela Fraire, Rosalba Spagnoletti et Marina Virdis (éds.), L’almanacco. Luoghi, nomi, incontri, fatti, lavoroi in corso del movimento femminista italiano dal 1972, op. cit., p. 113, où, en dépit de la reproduction dans la même page de la couverture de la revue, la revue est mentionnée comme : « Donna è bello »), ce qui témoigne de la force d’inertie du modèle face à ses transformations.

[54]. Carla Lonzi, « Sputiamo su Hegel », op. cit., p. 21.

[55]. Nicole Decuré, Le choix intolérable ou l’évolution des mouvements féministes aux États-Unis, op. cit., p. 456.

[56]. Elda Guerra, « Femminismo/femminismi : appunti per una storia da scrivere », Genesis, Anni Settanta, III/1, 2004, Rivista della Società Italiana delle Storiche, numéro monografique, p. 87-111.

[57]. Cerchio Spezzato, « Non c’è rivoluzione senza liberazione della donna », in Anabasi, Donne è bello, op. cit., p. 126-128, p. 127.

[58]. Un Collectif Italien, Être exploitées, op. cit., p. 63-66.

[59]. Cf. Anna Rossi-Doria, « Antisemitismo e antifemminismo nella cultura positi-vistica », in Alberto Burgio (éd.), Nel nome della razza. Il razzismo nella storia d’Italia 1870-1945, Bologne, Il Mulino, 1999, p. 455-473.

[60]. Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel, « Le sexisme comme réalité et comme représentation », op. cit., p. 15.

[61]. Elsa Dorlin a souligné que « cette communauté de condition dans l’oppression entre les femmes et les Noirs n’a pas seulement une valeur symbolique. Cette référence tient également lieu de réponse critique à l’encontre des théories racistes, qui empruntent tout un arsenal discursif aux théories sexistes de la bi-catégorisation naturelle des sexes pour penser l’incommensurabilité de la différence raciale » ; cf. Elsa Dorlin, « Sexe et race : histoire et enjeu de la prétendue incommensurabilité de la différence sexuelle », 3e colloque international des recherches féministes francophones : Ruptures, résistances, utopies, Toulouse 17-22 septembre 2002, texte dactylographié.

[62]. On a beaucoup écrit à propos du sexisme présent dans les mouvements antiracistes et noirs, et aussi dans l’extrême gauche des années 1970, et il y aurait encore beaucoup à écrire sur les « milieux alternatifs » qui en seraient les héritiers. Actuellement les débats autour du port du foulard ou de l’excision-infibulation ont de nouveau montré la présence d’un certain sexisme dans l’antiracisme et vice versa. Cf. Marie-Josèphe Dhavernas, « Référent et dominant », Cahiers du Cedref, université Paris VII, n° 3, 1993, Sexisme et exclusions. Selon Étienne Balibar « le “ nœud négatif ” du racisme et du sexisme n’implique nullement, en contrepartie, une unité de l’antiracisme et de l’antisexisme : il semble qu’on touche ici une limite de l’universalité des “ libérations ” » : cf. Étienne Balibar, « Racisme et sexisme », in Sexe et race. Discours et formes nouvelles d’exclusion du XIXe au XXe siècle, 1989-1990, p. 4.

[63]. Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], Paris, Gallimard, 1999, p. 18-19.

[64]. Ibidem, p. 24. Sur les limites et les contradictions qui grèvent le discours beauvoirien concernant l’oppression de genre et de « race » cf. Ursula Tidd, « Le deuxième sexe, la conscience noire et la conscience lesbienne », in Christine Delphy et Sylvie Chaperon (éds.), Cinquantenaire du Deuxième Sexe, Paris, Syllepse, 2002.

[65]. Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel , « Le sexisme comme réalité et comme représentation », op. cit., p. 9.

[66]. Cette formulation distingue clairement la notion de sexisme de la notion de « misogynie » — proposée par le groupe « Psychanalyse et Politique » — qui opère une réduction psychologique et/ou psychanalytique d’un phénomène social. Cf. Antoinette Fouque, « La peste misogyne » [1991], in Il y deux sexes, Paris, Gallimard, 1995.

[67]. Marie-Josèphe Dhavernas et Liliane Kandel, « Le sexisme comme réalité et comme représentation », op. cit., p. 11-12.

[68]. La revue, née en 1985, a cessé ses publications en 1999, avec la fin du séminaire de Rita Thalmann. Un dossier dédié à la revue Sexe et race a été publié, par mes soins, par Razzismo & Modernità, n° 2, 2002.

[69]. Étienne Balibar, « Quelques réflexions autour de sexisme et racisme », in Sexisme et exclusions, Cahiers du Cedref, n° 3, Paris, université Paris VII, printemps 1993, p. 25-30, p. 25.

[70]. Cf. Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, Paris, La Découverte, 1987. Pour une problématisation de l’armature théorique de ce texte, cf. Rudy M. Leonelli, « Le sventure della virtù. Per la critica del post-antirazzismo », Altreragioni, n° 4, 1995, p. 189-201.

[71]. Liliane Kandel, « Faurisson-“ Détective ” : même combat ? », op. cit., p. 402.

[72]. Cf. par exemple les analyses féministes du nazisme : Liliane Kandel (dir.), Féminisme et nazisme [1997], Paris, Odile Jacob, 2004, ainsi que mon compte rendu « L’innocenza di Eva », in Altreragioni, n° 8, 1999, p. 151-160.

[73]. À titre d’exemples : Angela Davis, Women, Race and Class, op. cit., traduction italienne : Bianche e nere, Rome, Editori Riuniti, 1985 ; et les traductions des ouvrages de Bell Hooks : Elogio del margine, op. cit. et les quatre essais parus, à partir de 1982, dans L’Orsaminore, Tuttestorie, Reti et Lapis.

[74]. Concernant la rare prise de distance critique, cf. Anna Rossi-Doria, « Antisemitismo e antifemminismo nella cultura positivistica », op. cit. ; Vincenza Perilli, « L’innocenza di Eva », op. cit. ; Renate Siebert, Razzismo : il riconoscimento negato, Rome, Carrocci, 2003.

[75]. Cf. Paola Masi, « Autoscatti : lettura della figurazione di sé nel femminismo », DWF, n° 1, 1989, p. 11-21.

[76]. « Razzismo e sessismo nelle pratiche politiche e nelle relazioni economiche e strumenti di contrasto », Castelfiorentino (Florence), 2-4 juin 2005, séminaire organisé par l’association Punto di partenza de Florence. Cf. Francesca Moccagatta et Mary Nicotra, « A proposito di razzismo e sessismo », Donne in viaggio, n° 54, luglio-agosto 2005, article consultable en ligne à l’adresse http://www.donneinviaggio.com/

[77]. Ibidem.

[78]. Paola Tabet, « “ Un elefante su cui farli viaggiare ”. Il razzismo come ideologia insegnata e appresa », in Paola Tabet et Silvana Di Bella (éds.), Io non sono razzista, ma… Strumenti per disimparare il razzismo, Rome, Anicia, 1998, p. 17-36, p. 18.

[79]. David Bidussa, Il mito del bravo italiano, Milan, Il Saggiatore, 1994.

[80]. Cf. Mauro Raspanti, « I razzismi del fascismo », in Centro Furio Jesi (éd.), La menzogna della razza. Documenti e immagini del razzismo e dell’antisemitismo fascista, Bologne, Grafis, 1994, p. 73-89.

[81]. Cf. Vito Teti, La razza maledetta. Origini del pregiudizio antimeridionale, Rome, Manifestolibri, 1993. La persistance du racisme anti-méridional est attestée par Paola Tabet, La pelle giusta, Turin, Einaudi, 1997. Du reste, en Italie, dans le langage courant le mot marocchino/a (marocain/e) désigne aussi les méridionaux et Africa (Afrique) le Sud de l’Italie.

[82]. Étienne Balibar, « Racisme et nationalisme », in Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1997, p. 54-92, p. 58-60.

[83]. En particulier : Angelo Del Boca, Gli italiani in Africa orientale. Dall’unità alla marcia su Roma, Milan, Mondadori, [1976] 1992 ; L’Africa nella coscienza degli italiani. Miti, memorie, errori, sconfitte, Bari, Laterza, 1992 et « Le leggi razziali nell’impero di Mussolini », in Angelo Del Boca, Massimo Legnani et Mario G. Rossi (eds.), Il regime fascista. Storia e storiografia, Bari, Laterza, p. 329-351 ; Giorgio Rochat, Il colonia-lismo italiano, Turin, Loescher, 1974 et « L’impiego dei gas nella guerra d’Etiopia. 1935-1936 », Rivista di storia contemporanea, n° 1, 1988, p. 74-109 ; Nicola Labanca, In marcia verso Adua, Turin, Einaudi, 1993.

[84]. L’exposition tenue à Bologne du 27 octobre au 10 décembre 1994 et dont les actes sont publiés in Centro furio Jesi (ed.), La menzogna della razza, op. cit., était organisée par un groupe des jeunes chercheurs(euses) parmi lesquels Mauro Raspanti, Gianluca Gabrielli, Rossella Ropa et Riccardo Bonavita. Achevé quelques jours après la mort de Riccardo, qui a décidé de nous quitter le 20 septembre 2005, cet article est dédié à sa mémoire.

[85]. Barbara Sòrgoni, Parole e corpi. Antropologie, discorso giuridico e politiche sessuali interrazziali nella colonia Eritrea (1810-1941), Naples, Liguori Editore, 1998. Je remercie Valeria Ribeiro Corossacz qui m’a signalé ce texte.

[86]. L’alternative était entre la présentation de la colonie comme no place for a white woman et des représentations peu édifiantes des mensahib. Sur ces thèmes, cf. la bibliographie proposée par Barbara Sòrgoni, Parole e corpi…, ibidem.

[87]. Notamment Anne Laura Stoler, « Rethinking colonial categorie : European communities and the boundaries of rule », Comparative Studies in Society and History, 13 (1), 1989, p. 134-161.

[88]. Anna Maria Bruzzone et Rachele Farina, La Resistenza taciuta, Milan, Mursia, 1976.

[89]. Anna Bravo et Anna Maria Bruzzone, In guerra senz’armi. Storie di donne. 1940-1945, Rome-Bari, Laterza, 1995.

[90]. Cf. Liliane Kandel (dir.), Féminisme et nazisme, op. cit.

[91]. Patrizia Gabrielli , « Premessa », Storia e problemi contemporanei, n° 24, a. XII, 1999, numéro monographique Donne tra fascismo, nazismo, guerra e resistenza, p. 7-9, p. 8, actes du colloque Donne, guerra, Resistenza nell’Europa occupata, organisé par la Società Italiana delle storiche, tenu à Milan les 14 et15 janvier 1995.

[92]. Anna Rossi-Doria, « Alcune osservazioni sul rapporto tra sfera pubblica e sfera privata negli studi recenti », Storia e problemi contemporanei , n° 24, op. cit., p. 145-151, p. 145.

[93]. Ibidem.

[94]. Cf. Rudy M. Leonelli et Vincenza Perilli, « Nuovo ? No, lavato con Perlana. Delle procedure di riciclaggio nel paese del trasversalismo reale », Invarianti, n° 35, décembre 2001, p. 89-97.

[95]. Giovanna Franca Dalla Costa, Un lavoro d’amore, Rome, Edizioni delle donne, 1978.

[96]. À titre d’exemple : Sabrina Marchetti, « Le Donne delle donne », DWF, n° 1-2, janvier-juin 2004.

[97]. Parmi les associations des femmes natives/migrantes, je rappelle la déjà citée Punto di partenza de Florence, AlmaTerra de Turin et Trama di Terre de Imola.

[98]. Giovanna Bodrato (ass. AlmaTerra), entretien avec Cristina Morini, in Cristina Morini, La serva serve. Le nuove forzate del lavoro domestico, Rome, Derive Approdi, 2001, p. 114-115.

[99]. Maria Teresa Battaglino, communication personnelle, luglio 2005. Je dois la naissance de ce dialogue, pour moi précieux, à Anna Pramstrahler, que je remercie.

[100]. Geneviève Makaping, Traiettorie di sguardi. E se gli altri foste voi ?, Soneria Mannelli, Rubettino Editore, 2001, p. 55-56.


__________________________


Nessun commento: